février16
L’impression étrange de revivre la même scène, encore et encore : ce petit box d’auscultation, cette sage-femme si douce, ce test qui va confirmer que oui, j’ai bien perdu les eaux. On me pose un monito, les contractions sont bien là mais très légères et pas vraiment régulières. Je suis surprise d’entendre que l’on envisage de me monter en chambre, voire même d’attendre que les choses se déclenchent naturellement, quitte à être hospitalisée quelques jours. Je ne serai pas déclenchée dans quelques heures alors ?
Ou comment se voiler la face, encore quelques instants…je sais pertinemment, au fond de moi, que la rencontre sera pour bientôt.
Aucune chambre de libre, la sage-femme décide de nous placer dans une salle d’accouchement, la plus éloignée de toutes, pour que nous nous reposions, au calme. Allongés l’un contre l’autre, Super Papa s’endort…pendant que je sens clairement que je romps la poche. Les contractions d’un seul coup deviennent plus intenses, je ne peux plus rester allongée. Il est 8h et j’appelle les sages-femmes.
Je crois qu’elles ne me prennent pas au sérieux quand je demande un ballon et de quoi me changer. Elles décrètent qu’elles repasseront dans la matinée me poser un monito. Le mari dort toujours, une web radio américaine distille de vieux tubes sixties, dans cette pièce plongée dans la pénombre. Le travail démarre doucement, chaque contraction gagnant progressivement en intensité.
10h15 et l’élève sage-femme reconnaît à mon visage que le travail a bel et bien commencé: « vous êtes à 5cms là, c’est super. » Les premières contractions qui apparaissent sur le monito sont déjà impressionnantes : « vous voulez la péridurale ? »
L’hésitation dure une fraction de seconde : devant mes yeux, des barrières qui s’envolent et je m’entends répondre « non, pas tout de suite ». Je sais que si je la refuse maintenant, il sera trop tard dans une heure. Mais je ne sais pas comment ni pourquoi…je me sens prête. Je sais que je suis capable de le faire.
Le mari se réveille mais reste bien démuni face aux grognements qui accompagnent chaque contraction. Je reste sur mon ballon. Les moments de calme entre chaque contraction sont délicieux, c’est incroyable…je me sens peu à peu entrer dans une bulle, j’y suis seule et je m’y sens bien.
Mais pas seule bien longtemps, il est 11h et l’élève revient. Elle me demande ce que je déteste le plus : m’allonger pour m’ausculter et vérifier ma tension. J’entends à peine que je suis à 7cms, tout ce que je veux c’est retourner sur mon ballon. Mes gestes sont brusques, je n’ai plus rien de la patiente malléable et enjouée. Je veux être seule et surtout, que l’on me foute la paix.
D’un seul coup, tout s’accélère : je n’ai plus aucun répit entre les contractions, le tracé du monito ne descend plus, la douleur est infernale et je reconnais à mes mots prononcés que c’est bel et bien la fin : « qu’est ce que j’ai fait, Aurélien, pourquoi je ne l’ai pas pris ? Qu’est ce que j’ai fait, qu’est ce que j’ai fait… ». J’ai l’impression que je ne vais jamais y arriver, je pousse à chaque contraction, sans en avoir vraiment l’envie…j’attends qu’elle arrive, d’ailleurs, cette fameuse envie de pousser, mais assise sur le ballon, je n’arrive pas à la reconnaître. Jusqu’à ce que je sente mes lèvres me brûler… « Appelle les sages-femmes, vite ».
L’élève me demande de m’allonger, je lui demande de m’ausculter debout. Elle insiste, mais voyant que je ne bouge pas d’un poil, elle passe légèrement sa main entre mes jambes et se met d’un coup d’un seul à courir et appuyer sur tous les boutons qu’elle trouve. Instinctivement, je me positionne à 4 pattes sur le lit, refusant de m’allonger malgré l’insistance de l’équipe. Au bout de quelques poussées inefficaces, on comprend que le bébé arrive par la face, et que je dois m’allonger sur le dos. Une, deux, trois poussées, ça brûle, et subitement, tu glisses hors de moi…avec une facilité déconcertante. Comment peut on souffrir autant et ne plus rien ressentir en une fraction de seconde ?
Tu es là, devant nous. Tu as les yeux grands ouverts, tu regardes tout ce qui t’entoure, comme si tu ne voulais pas en perdre une miette. Ton père est ému, très ému. J’entends à peine ton poids, qui est très bon vu ton terme (2,170kgs), je ne remarque même pas cet hématome qui prend la moitié de ton visage (consécutif à ta présentation en OS), je veux juste profiter de toi, le plus longtemps possible.
Et tu vas rester une heure, une heure entière sur moi. Un vrai cadeau, quand on compare aux quelques minutes qui nous avaient été accordées à la naissance de ta soeur. Je vais même te voir ramper jusqu’à mon sein, prendre ta première tétée d’accueil. La musique est toujours là, et je reconnais un vieux morceau de Paul McCartney…on rigole et pour cause…
Parce que toi, notre petit dernier, notre cinquième petit doigt de la main…tu te prénommes Paul. ♥